Deuxième volet de Profils paysans.
Depardon est né il y a 62 ans dans une ferme rhodanienne de Villefranche-sur-Saône. Il “monte” à Paris en 1958 (à l’âge de seize ans) pour devenir photographe et laisse donc ses racines paysannes derrière lui, à l’inverse de son frère qui reprendra l’exploitation familiale. Double mouvement donc, qui consiste à revenir sur ses terres puis aller témoigner, ailleurs, de l’état du monde paysan. “Je suis parti sur un désir de constat : constater le réel, le présent.” Le projet prendra du temps, Depardon souhaitant faire un film tourné sur dix ans, mais finalement Canal + donne son accord pour une trilogie, qui débutera par ce qui d’ordinaire est laissé dans le hors-champ documentaire : le moment où le cinéaste tente de convaincre ses “sujets” de se laisser filmer. “D’habitude, on ne montre jamais l’approche, c’est un peu la honte. Pourtant, il n’y a pas de connivence au départ, surtout avec les paysans.” Le chapitre deux porte le sous-titre trompeur du “quotidien”. Peu de scènes au travail, pas vraiment de moments intimes, plutôt des conversations où revient, comme un leitmotiv entêtant, la question de la succession. C’est l’incompréhension entre les vieux et les jeunes, les premiers étant attachés à un mode de vie désuet, dépassé et impossible à tenir pour assurer leur subsistance, les seconds tentant tant bien que mal de reprendre des fer- mes en ruine dans des villages désertés. Reste qu’on retrouve dans Profils paysans, malgré la relative désespérance de ses enjeux, l’humour constant qui fait la force du travail documentaire de Depardon. Mieux : chez lui, plus c’est noir, plus c’est drôle. Le regard de Depardon sur ces existences saisies dans leur posture la moins reluisante n’est pourtant ni cruel, ni accablant. Aujourd’hui, à le voir contempler ce monde paysan qu’il a fui et qu’il récupère à son crépuscule, on ne peut s’empêcher de penser que c’est là qu’il trouve cette lucide générosité. La carapace fendue, Depardon capte, comme il a toujours su le faire, quelque chose d’universel. Christophe Chabert.