Balade facétieuse au cœur du grand magasin cubain Fin de Siglo, au nom emblématique, le film s’attache aux différents acteurs et temps forts d’une entreprise commerciale bercée au rythme vertueux d’une idéologie socialiste mise à mal par la chute du bloc soviétique.
Szymon Zaleski et Marilyn Watelet réalisèrent ensemble cinq films documentaires. Fin de Siglo fut le premier de cette collaboration. A revoir aujourd’hui le documentaire Fin de Siglo réalisé en 1994 à Cuba par Marilyn Watelet et Szymon Zaleski, le spectateur constate que l’intérêt qu’il prend au récit de la vie quotidienne dans ce grand magasin de la Havane, en cette période de pénurie qui caractérisa les années 90 a sensiblement changé de nature. L’histoire de la faillite de la révolution cubaine suscitera sans doute encore bien des polémiques tant l’espoir fut grand et forte l’utopie. C’est ce qui explique l’opposition que rencontra le film lors de sa première projection au Festival international de Berlin et les vives discussions qu’il suscita par la suite. Cependant, il semble possible aujourd’hui d’interroger les rapports entre le discours révolutionnaire, l’utopie dont il revendique sa légitimité et la réalité. Lorsque celle-ci ne correspond plus au discours et le contredit même, faut-il changer de langage ou la mettre en scène. Elle devient alors une fiction collective, un ensemble de comportements qui paraîtraient insensés s’ils ne répondaient à l’impératif d’obéir aux consignes d’un état devenu schizophrénique. Fin de Siglo illustre ce phénomène de déni de la réalité et apparaît comme un cas d’école. Cependant, le souvenir qu’on en garde est celui de la dignité des personnes, employés et clients, prises en cet étau et faisant face à la bureaucratie, aux difficultés extrêmes du quotidien.
Le tournage du film avec l’appui d’une équipe technique de grande qualité contribue sans doute à l’impression qu’éprouve le spectateur de se trouver devant une fiction. Deux mises en scène se confrontent. La première est celle imposée par le régime et se décline à travers les règlements de la bureaucratie. La seconde démontre l’extraordinaire capacité de résistance qu’ont les êtres leur permettant d’exprimer, par le recours au théâtre, par l’ironie et la colère sourde, l’absurdité de leur existence et de dénoncer
le silence qui leur est imposé. Serge Meurant