En principe, il y a un temps pour vivre et un temps pour mourir. Mais parfois les deux coïncident. A Jaba, dans la plaine hongroise, le temps de vivre, c’est celui de l’enfance, du plaisir et du rêve, de l’insouciance et de l’indolence, de la toute-puissance et de la liberté. Le temps des 400 coups, des aventures trépidantes qu’on s’invente dans une carcasse de voiture, King Kong ou 2001, l’Odyssée de l’espace, le temps de la nature et du jeu, des rixes dans les bois et des siestes au bord de l’eau, celui de la substitution d’un monde fantastique et féerique au monde réel, du livre de la jungle à l’école et à la société des hommes. Un temps riche, intense, présent et qui semble ne devoir jamais finir. Le temps de mourir, c’est le moment brutal, inattendu, d’une fracture, d’un destin aveugle et incompréhensible, d’une perte irrémédiable (la mort d’un camarade) et d’une dislocation (la révélation à chacun de sa solitude devant la mort), d’une implosion (la fin de l’harmonie) et d’un poison qui, en contaminant la joie de vivre, confisque à son profit ses formes d’expression (le dessin, la musique, le super 8), pour y substituer la mélancolie et le désarroi, et transforme les terrains de jeu d’hier en une terre de tristesse et de désolation qu’on ne songe plus qu’à fuir. (Yann Lardeau)